Cette fois-ci, c’est sûr, je les noie ! Ça ne peut plus durer, je vais en prendre un pour taper l’autre... Je sors d’un pas décidé pour en découdre, sauf que j’ai la colère discrète et passagère. Je sens que mon arrivée sur la plage n’est pas vécue comme un cadeau de la vie, mais c’est ça ou je-ne-sais-pas-quoi de plus intelligent. Le bruit des deux roues n’est que la goutte d’eau, parce qu’au quotidien, il y a les tondeuses, perceuses, tronçonneuses, marteau-piqueur et, là, ce ne sont plus des ados, mais des adultes, voire des « vieux cons » qui assurent l’animation - dimanche compris.
Alors je tente encore le dialogue :
- Bonjour à vous ! Je viens vers vous car, là, ça ne va pas être possible ! Je comprends qu’aux beaux jours, vous aimiez profiter de la plage mais vos passages répétés, avec vos deux roues trafiquées, rendent la vie du quartier impossible. On atteint un niveau sonore hallucinant, sans parle pas de la vitesse : en fait je craque !
Voilà comment j’ai engagé la conversation avec cette bande de « p’tits cons ».
Sauf que, si je prends le temps de réfléchir un peu, potentiellement nous avons tous été un jour un p’tit ou jeune con... Puis ces p’tits cons sont les ouvrier, patron, président, financier, commerçant, artisan, artiste... Attendez, ils sont même capables de devenir parents, vous vous rendez compte ! Pour ne pas les étriper ou crever une roue de leur engin, j’ai gardé cette idée de potentiel en tête et j’ai eu envie d’en savoir plus.
Pour notre 1er rendez-vous, il y avait Mathéo, Dylan, Anthony, Amandine, Lino. J’ai oublié de demander leur âge, mais j’imagine qu’ils dansent autour de la majorité.
- Qu’est-ce que vous gagnez à faire tout ce bruit ?
Entre hésitation, provoc’ et audace, les langues se délient : J’aime faire ch*** les gens ! Le p’tit con dans toute sa splendeur, mais ils ont continué : Je veux être vu. J’aime bien l’idée que les gens me voient passer, ils voient que j’ai une belle moto.
- Quand vous me voyez débarqué, qu’est-ce qu’il se dit ?
La première idée : elle va nous démonter la tête ! Et en fait c’est cool de voir des adultes qui viennent discuter, le message passe mieux. Ça arrive que certains pètent des câbles... On sait bien que pour garder de bons rapports il faudrait qu’on fasse moins de bruit, qu’on roule moins vite.
Puis on a parlé motos, vitesse, la tolérance, le respect, les rapports avec le monde. On a parlé pandémie et ça a fusé de suite : Vous ne pouvez pas imaginer comment ça me casse les cou***es ! J’ai perdu la vie, moi ! Moi, c’est mon boulot !
Première expérience professionnelle qui disparait à cause cette gestion de mascarade[1]. Alors ok, c’est dur pour tout le monde, mais ils ont l’âge de construire des rêves. Les examens qui arrivent - CAP coiffure ou boucherie - et après ? Ils sont dans l’âge où seule compte la bande de copains et ça leur est interdit. Malgré cette colère, ce dégoût du moment, ils respectent les fameux 10km ; alors tête à claque et rebelle, peut-être, mais pas que.
Parce qu’ils sont les VIP de demain, je vais prendre le temps de rencontrer les p’tits cons d’aujourd’hui.
[1] Réunion de personnes masquées.
Billet d'humeur proposé à
La Pie, Canard du Périgord
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